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[CR] Less is more ? L’art de concilier son projet culturel et la taille de son festival

Table ronde organisée par le Collectif des festivals dans le cadre des Rencontres Trans Musicales 2019, en partenariat avec le festival Panoramas.

Modération : Odile De Plas, Télérama

Dominique Sagot-Duvauroux, économiste
Professeur à l’université d’Angers, membre du Groupe de Recherche Angevin en Economie et en Management (EA n° 7456 GRANEM) dont il a été le directeur de 2006 à 2012, Dominique Sagot-Duvauroux dirige la Structure Fédérative de Recherche Confluences. Il est également directeur adjoint de la Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin. Dominique Sagot-Duvauroux est spécialisé sur les questions d’économie culturelle et a publié de nombreux articles et ouvrages sur ce thème. Il réalise régulièrement des recherches et rapports d’expertise pour le ministère de la culture français. Il coordonne un programme de recherche financé par l’Agence Nationale de la Recherche SCAENA, Scènes Culturelles, Ambiances Et TraNsformations urbAines qui analyse les formes d’encastrements des activités artistiques dans les territoires et les processus de développement qu’ils engendrent.

Eddy Pierres, Directeur, Wart, festival Panoramas
Eddy Pierres est le directeur mais aussi co-fondateur en 1997 de l’association WART et du festival Panoramas. L’association WART organise le festival Panoramas en Pays de Morlaix qui attire chaque année au printemps plus de 30 000 festivaliers autour des musiques urbaines et électroniques. Eddy Pierres est directeur associé du projet de création de plateforme culturelle dans l’ancienne Manufacture des Tabacs de Morlaix : le SE/CW.

Benoît Careil, élu adjoint à la Culture de la ville Rennes
Ancien musicien et producteur, dans les années 90, il a fondé et dirigé Le Jardin moderne, une salle de musiques actuelles. Benoît Careil est aujourd’hui élu adjoint à la culture à Rennes et est très impliqué sur les questions de droits culturels.

Damien Malinas et Raphaël Roth, Maîtres de conférences en Sciences humaines et sociales, à l’université d’Avignon et des Pays du Vaucluse.
Responsables du Master « Publics de la culture et communication », ils développent leurs recherches au sein de l’équipe Culture et Communication du Centre Norbert Elias autour de l’axe Publics de la culture – cinémas, festivals, événements.

Depuis quelques années, on observe une inflation des jauges des festivals, probablement pour des raisons de solidités économiques. On observe également l’arrivée de gros groupes de divertissement dans le secteur culturel. Et en parallèle, il y a comme un souhait de retourner aux petits festivals, « plus authentiques ».
Quand on parle de la taille d’un festival, nous pensons à la jauge, mais nous allons voir que cela peut également être le budget, la durée, la quantité des représentations, le montant des cachets… qui font la « taille » du festival.

Il y a assez peu de travaux sur le lien entre la taille, les activités d’un festival et les critères d’efficience de ces derniers. Du point de vue économique, nous pouvons poser la problématique comme : quels sont les enjeux de la taille et comment cette question se pose dans le domaine des musiques actuelles ?
Le rapport entre la taille et la performance est une vieille histoire. Le capitalisme doit croître ou mourir selon Karl Marx ! Il y a en effet une tendance à la croissance et à la concentration. Aujourd’hui, se font concurrence quelques grosses entreprises et autour, beaucoup de petites entreprises, mais qui n’ont que peu de poids sur le marché. Ce sont toutefois souvent les petites structures qui assument l’innovation.

Rappel des lois économiques du spectacle vivant :

  • La Loi de Baumol : du nom d’un économiste américain des années 60. Il a fait une analyse économique de la crise des théâtres de Broadway, sur une demande de la Fondation Rockefeller. Il constate alors qu’on ne réalise pas de gain de productivité dans le spectacle, qu’il faut toujours le même nombre d’heures de travail pour produire la même valeur (contrairement à l’industrie). Comme les secteurs qui font des gains de productivité augmentent les rémunérations des salariés, le secteur culturel s’aligne et donc les coûts augmentent sans cesse.
    Comment répondre à cette problématique ?
    – Augmentation du prix des places. Mais induit une moindre accessibilité et un risque de rendre le spectacle vivant à une élite.
    – Réduire les formats des spectacles (le nombre d’artistes par exemple).
    – Obtenir des subventions.
  • C’est un secteur où les coûts s’ajustent aux recettes, une augmentation des moyens produit une augmentation des dépenses. On va ainsi mieux payer les artistes, faire des aménagements…
  • L’augmentation des coûts est concomitante de la baisse des subventions publiques. Il faut donc développer ses recettes propres : est-ce que ça veut dire augmenter sa taille ?
  • Une partie importante de la valeur produite par les activités artistiques et culturelles déborde et s’évapore ailleurs (« valeurs vaporeuses »), pour produire de la valeur économique, sociale, urbaine… Mais cette valeur est ensuite très difficile à récupérer par les acteurs culturels. Concept d’externalité : c’est un concept que les marchés n’arrivent pas à intégrer, c’est la valeur que des acteurs économiques produisent pour d’autres, mais qui ne peuvent faire l’objet d’un échange.

Quels arguments en faveur de la croissance ?

  • Faire des économies de dimension (amortissement des coûts fixes).
  • Maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, ne plus être dépendant de ses fournisseurs ou de ses clients (concentration verticale).
  • Installer un rapport de force entre l’entreprise et ses partenaires : prendre un avantage dans les négociations.

De quelle taille parle-t-on ?
On peut identifier une grande diversité d’indicateurs permettant d’apprécier la taille des festivals :

  • Le budget
  • Le nombre de scènes
  • La fréquentation
  • Le nombre de groupes ou représentations
  • La durée

De quelle performance parle-t-on ?

  • Remplir les jauges,
  • Développer le chiffre d’affaires, dégager des marges financières,
  • Notoriété et attractivité,
  • Diversifier la programmation et/ou ses publics,
  • Être autonome,
  • Avoir un impact territorial,
  • ….

Les enjeux de la taille : une histoire de point de vue ?

Du point de vue de l’organisateur :
• Faire des économies de dimension : amortissement des coûts fixes (économie d’échelle, économie de gamme, duplication des éditions comme Les Folles journées ou le Festival photo de la Gacilly).
• La capacité à attirer des têtes d’affiche (impact sur le public, les médias, les collectivités).
• Le pouvoir de négociation (vis-à-vis des producteurs et tourneurs, des fournisseurs, des mécènes, des collectivités) ; l’enjeu de l’intégration verticale.
• Une alternative en réseau : coproduction / coréalisation.
• Au risque :
– D’une moins grande autonomie
– D’une moins grande agilité
– D’une moins grande diversité
– D’un passage à un modèle éditorial vers un star-system
– D’un effet négatif sur le bénévolat
– D’une contradiction avec les enjeux du développement durable
– D’un enjeu de sécurité accru

Du point de vue du public :
• Dimension expérientielle du festival augmentée par le nombre croissant de festivaliers
• La question du prix : les gros festivals sont-ils plus chers que les petits ?
• La question de la diversité

Du point de vue des collectivités :
• Les effets induits pour le territoire
• La notoriété
• La question du rapport aux habitants
• La question de l’autonomie / diversité des politiques publiques

Du point de vue des sponsors et mécènes :
• Large public ou public cible ?
• Enjeu territorial
• La dilution du soutien

Ce premier regard de l’économiste invite à mener un vrai travail pour croiser les critères de taille avec les critères de performance :
• Taille et structure des coûts
• Taille et prix
• Taille et diversité
• Taille et autonomie
• Taille et inscription territoriale

On n’aborde pas beaucoup la question de la taille des festivals dans les réseaux, quand on finit par l’envisager, c’est souvent trop tard, c’est ce qui s’est passé en 2019 pour le festival Panoramas : avec une baisse de fréquentation mais également une évolution des publics. Ils sont aujourd’hui très connectés mais se lassent ; à 25 ans, certains se disent trop vieux pour Panoramas !
Nous avons besoin de nous requestionner tous les ans, d’être plus attentif aux publics.
Il n’y a pas de formule magique. Même pour les gros festivals, il faut constamment s’adapter et notamment aux évolutions du public (d’où l’importance de les connaître).
Comment se réapproprier le projet ? Comment se réinterroger régulièrement pour faire évoluer le festival ?
On observe une régionalisation des festivaliers.
On constate également que plus on essaie d’améliorer l’accueil des festivaliers et plus on augmente les coûts.
Les fonds propres sont très limités et peuvent être perdus sur une année.
Nous réfléchissons à nous réapproprier le festival comme un enjeu positif. Avec une diminution du nombre de scènes : en passant de 4 à 3, avec également une diminution de la jauge.

Il y a un lien important entre les habitants et leur festival : à Avignon par exemple, ce sont les avignonnais qui se rendent le plus au festival, mais à l’année, ce n’est pas le cas dans les équipements. Ce que l’on se dit concerne tous les festivals, la forme festival. Sur les Transmusicales ou les Vieilles Charrues, on vieillit avec le festival et on le suit.
La grande jauge n’est pas à la mode en ce moment. « Small is beautiful », on recherche une échelle humaine, de la convivialité. A un moment, les grandes jauges et les grandes salles ça a permis la démocratisation. Il y a eu une ouverture par la taille. Maintenant, cela n’a pas forcément une bonne image.
Il y a une question qui relève de la taille et du « trop ». C’est la question de l’hospitalité : comment le territoire reste hospitalier, avec un réel plaisir d’accueillir les festivaliers ?

Eddy Pierres : En effet, aujourd’hui, même quand on est un gros festival, on essaye de penser l’accueil comme une expérience, on va par exemple compartimenter et créer des espaces et des expériences festivalières différentes.

A Rennes, il y a peu de gros festivals, mais plutôt des moyens. Les Trans sont une exception, apparues quand c’était le désert culturel à Rennes. Aujourd’hui il n’y a plus beaucoup de place pour les nouveaux !
Il n’y a pas de grand lieu de spectacle à Rennes, et c’est une volonté des élus et des acteurs.
Quand on accompagne de jeunes organisateurs, on leur conseille de progresser raisonnablement. Le développement des festivals ne se fait pas tant sur la jauge que sur la durée et la multiplication des lieux, des partenariats, des coopérations et c’est intéressant pour la population en termes de proximité, ou pour croiser les publics.

Chaque été sur trois jours et depuis deux ans, ATOM Festival propose une programmation pluridisciplinaire au coeur des vallées de l’Aude. Pensé comme un laboratoire multisensoriel, le festival se définit comme une déambulation joviale dans les sphères artistiques, avec pour volonté d’éveiller la curiosité des festivaliers. Les résultats de l’enquête menée sur les 615 participants de l’édition 2019 montrent un public jeune, diplômé, majoritairement initié aux différentes esthétiques culturelles et pratiquant des activités artistiques. Une part importante des témoignages recueillis associent la réussite de l’événement à sa “taille humaine” et l’ambiance singulière qui en résulte. Une caractéristique de la réception de l’expérience festivalière au service d’une mue de la relation entre festivaliers et arts.
Il ne manque pas de festivals, mais nous avions envie de créer quelque chose à notre image et selon notre envie de faire la fête.

Eddy Pierres : La taille du festival c’est aussi la taille de la structure qui l’organise. Nous avons développé des activités à l’année pour accueillir une première équipe professionnelle au sein de l’association

La course à la taille dans le secteur associatif des musiques actuelles, De la crise de sens à la proposition alternative d’une plateforme collaborative. Par Gérôme Guibert et Philippe Eynaud. Dossier – La course à la taille, dans la revue RECMA – revue internationale de l’économie sociale, n°326, octobre 2012.

Comment les mini-festivals d’été ont imposé leurs différences dans toute la France. Par Morane Aubert, Ana Benabs, Article Les Inrockuptibles, juillet 2016
https://www.lesinrocks.com/musique/comment-les-mini-festivals-dete-ont-impose-leurs-differences-dans-toute-la-france-66655-06-07-2016/

Les festivals de taille intermédiaire inquiets. Par Martine Robert, Article Les Echos, juin 2019
https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/les-festivals-de-taille-intermediaire-inquiets-1031244