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[CR] Quelle place pour l’emploi dans son projet de festival

Table ronde organisée par le Collectif des festivals dans le cadre des Rencontres & Débats des Trans

INTERVENANT·ES :

• Nadège Couroussé, administratrice de production du Festival du Roi Arthur.
Nadège a été bénévole au Festival du Roi Arthur pendant 12 ans, elle y a notamment été co-présidente. Elle est aujourd’hui l’une des 3 salarié·es.
Le festival du Roi Arthur (Bréal-sous-Montfort) existe depuis 2007.

• Igor Gardes, directeur du Festival du Cornouaille.
Igor a longtemps travaillé au Théâtre de Cornouaille où il a exercé plusieurs métiers au sein d’une équipe de 12 personnes et également à l’Orchestre national de Bretagne (une cinquantaine de salarié·es) comme administrateur général adjoint.
Il est directeur depuis 2014 du festival de Cornouaille (Quimper) qui existe depuis 1923. Le festival compte 4 salarié·es permanent·es. Le festival s’est professionnalisé dans les années 80 avec la création d’un premier emploi plutôt lié au secrétariat.

• Carol Meyer, directrice du Festival Art Rock.
Art Rock est organisé par une association créée en 1979, les premiers emplois salariés ont été créés dans les années 2000. Le festival comprend aujourd’hui 6 permanent·es et 200 salarié·s à l’année (150 intermittents et 50 CDD).
Carole est également co-présidente de De Concert, fédération internationale de festivals, qui emploie 1 salarié.

• Micha Ferrier-Barbut est consultante en management pour les entreprises culturelles à la suite d’un parcours en direction d’établissements culturels publics et privés et dans un centre de recherches en politiques publiques de la culture.
Elle a co-dirigé l’ouvrage La gestion des ressources humaines dans le secteur culturel (2017)[1].

MODERATION : Laureline Geisen. Aujourd’hui DRH pour l’Association rennaise des centres sociaux, elle a été administratrice d’associations culturelles.

Par Laureline Geisen

Parler d’emploi c’est parler d’employeurs et de salarié·es, de bénévoles également car leur place est importante, de compétences apportées dans un projet.
Parler de la place de l’emploi dans le projet de son festival c’est parler de cette relation employeur/salarié·e : comment on la construit, comment elle vit, comment on s’en occupe.
C’est aussi parler de quelle place faire à l’emploi : faut-il faire une place à l’emploi dans le projet de son festival ? Qu’est-ce qui amène un festival à créer son premier emploi ?

Nadège Couroussé : Le Festival de Roi Arthur a créé 3 emplois permanents à temps plein en un an : en octobre 2020, en mars 2021 et en septembre 2021.
Le conseil d’administration du festival réfléchissait à l’embauche depuis 2015 : pour maintenir, pérenniser et développer le festival en raison des limites imposées par le facteur temps des bénévoles. Le développement du festival devenait trop chronophage pour une organisation 100 % bénévoles.
L’association a attendu d’avoir l’assurance financière suffisante pour pouvoir se projeter sur a minima 2 ans avec un ou une salarié·e.
Le CA ne souhaitait pas créer un emploi qui prendrait les tâches d’un bénévole, il y avait une peur de perdre le projet, de perdre les valeurs… Il y avait donc une recherche de complémentarité.
L’association s’est fait accompagner par un cabinet de recrutement afin de définir le périmètre du poste, en l’occurrence un poste axé sur la gestion administrative pour soulager les 2 co-président·es.
Au bout d’un an et demi, en tant que co-présidente ayant la fonction employeur, Nadège a vu les limites de cette organisation puisque l’encadrement a fait exploser son temps de bénévolat.
Le CA a donc choisi de créer un second poste pour une personne qui avait l’expérience du terrain au Roi Arthur et connaissait bien les bénévoles, un poste plutôt stratégique : 20 % en gestion RH et 80 % sur la production du festival. Ce poste a été proposé à 20 personnes du CA et du comité d’organisation, il y a eu 2 candidatures et Nadège a été recrutée en tant qu’administratrice de production.
D’employeuse bénévole en tant que co-présidente, elle est devenue l’employeuse salariée de ses 2 collègues, son employeur à elle étant le CA de l’association.

Igor Gardes : On embauche aussi parce qu’à un moment donné on a besoin d’une certaine compétence. On investit pour quelqu’un qui est compétent et qui va faire grandir l’entreprise. Créer de l’emploi c’est combler un vide. On a besoin de structurer nos organisations. Il faut analyser les besoins, savoir de quels métiers on a besoin.
Historiquement on arrive dans nos métiers par passion et de ce fait nos compétences se monnayent peu et les salaires sont bas.
Pourtant on sait faire, on a des compétences : il est temps d’assumer notre profil d’expert culturel.

Micha Ferrier-Barbut : Lors d’une embauche, se crée de fait une « fonction employeur » qui se définit par l’obligation de la mise en place d’un contrat de travail qui fixe les conditions de l’emploi (rémunération, cadre, heures de travail, la subordination, l’environnement, la convention collective…).
Dès lors que le contrat est signé, les deux parties réfèrent à 2 sphères différentes : l’employeur devient de fait responsable (civilement et pénalement), il est obligé d’appliquer un certain nombre de règles et de lois. Le salarié a lui aussi des obligations et des devoirs.

Le bénévolat est une particularité du secteur culturel et notamment du secteur des festivals. En Bretagne, les festivals ont en moyenne 3 salarié·es pour 450 bénévoles et on peut parfois observer un glissement de bénévole à salarié, ce qui n’existe pas dans d’autres secteurs (à l’hôpital par exemple, les bénévoles ne deviennent pas chef·fes de service).
On baigne dans un univers économique qui ne dit pas son nom mais à partir de métiers ou d’engagements qui s’articulent sur la passion, l’intérêt…
Or lorsqu’on décide d’embaucher, on désigne immédiatement un employeur et un·e salarié·e, ce qui implique un cadre économique mais également légal, juridique (code du travail, de la sécurité sociale…). Et cet aspect n’est pas forcément clair tout de suite lorsqu’on arrive d’une histoire d’amitié, de fête, d’engagement…

Le chercheur canadien en sciences de gestion Henri Mintzberg a construit une typologie des organisations. Il décrit 5 types d’organisations et notamment la « structure simple », très adaptée au secteur culturel. Cette typologie d’organisation est caractérisée par une polyvalence très élevée et une standardisation des tâches faible, où il existe peu de fonctions supports, les comportements sont peu formalisés et le recours à la formation peu développé, la logique projet s’applique à l’ensemble des personnes qui y travaillent. Les individus qui travaillent dans ces organisations sont très impliqués dans leur travail, sans forcément d’injonctions ou de contrôle externe.
La recherche de sens, l’engagement, le partage de valeurs… sont des moteurs importants de notre secteur, les émotions y sont très présentes.
L’objectivation du travail va permettre réguler ces émotions.
Dans d’autres secteurs, les outils RH (organigrammes, fiches de poste, possibilités d’évolution…) sont importants notamment parce qu’ils vont créer de la mobilisation, de l’engagement… des émotions positives au travail finalement. Dans le secteur culturel, c’est l’inverse : ces émotions positives sont déjà là. C’est sur les méthodes qu’il y a une marge de progression !
Canaliser les ressources émotionnelles pour arriver à en faire quelque chose au service de l’organisation.

Claude Berceliot (dans le public) : une autre spécificité du festival, par rapport à un équipement culturel par exemple, c’est le rapport au temps : il va être différent selon les parties-prenantes de l’organisation d’un festival. Les salarié·es travaillent sur 1 ou 2 ans, les bénévoles et les intermittent·es sont sur d’autres timings. Et à chaque arrivée, ça veut dire de nouvelles personnes à accompagner.
C’est miraculeux d’arriver à un moment donné à ce que toutes ces personnes se retrouvent autour du projet et réalisent le festival.

Igor Gardes : on court un marathon et on finit en 400 mètres haies (et pas des petites haies : une pandémie, un risque attentat…). On a l’impression de finir par Super Mario avec des gens qui nous jettent des bananes.

Carol Meyer : et c’est bien pour ça qu’on a besoin de créer des emplois, ce n’est pas à des bénévoles qu’on va demander de gérer un dispositif anti-intrusion.

• LE RÔLE DES OUTILS RH

Laureline Geisen : D’après Marc Bouchet (coach et consultant en risques psycho-sociaux), le management peut être vu comme un ensemble de méthodes d’organisation efficace (des outils, des règles, des contraintes…) mais cette vision occulte un peu la dimension relationnelle du management : s’approprier les outils RH peut être un prétexte pour prendre soin de la relation et être dans l’accompagnement des personnes.
Les personnes, bénévoles comme salarié·es, arrivent dans les projets avec une implication et une envie extrêmement forts. Le « don de soi », le « modèle vocationnel » sont une donne du secteur culturel et il faut composer avec cet aspect pour bâtir les relations employeurs / employé·es. Il faut prendre en compte ce que les personnes viennent chercher dans leur travail ou leur engagement bénévole.

Carole Meyer : L’employeur doit sécuriser les salarié·es, leur assurer une sécurité matérielle, financière, physique.
Dans le secteur, on est dans une ambiance fun, on se tutoie, on a été bénévole… on ne sait pas bien si on est amis ou collègues de travail, la hiérarchie est compliquée.
Les outils ressources humaines peuvent paraître contraignants mais ils permettent de poser un cadre et de sécuriser la position des gens au travail (par exemple les fiches de poste, les entretiens annuels et professionnels…).
En tant qu’employeur, on est également là pour accompagner les salarié·es dans leur évolution, que ce soit dans le projet ou en dehors. D’où l’importance d’un autre outil : la formation professionnelle.
C’est évidemment chronophage de bien s’occuper de la relation employeur / salarié·e mais c’est nécessaire, surtout dans notre secteur qui demande beaucoup d’investissement personnel. Cet engagement doit être compensé par un bien-être au travail, par une écoute, par un accompagnement.

Micha Ferrier-Barbut : C’est important d’avoir une vraie fonction employeur et qu’elle soit incarnée : quand on sait qui s’en occupe, comment ça marche, qui on peut aller voir… tout ça aide à la construction du sentiment de sécurité associé au bien-être au travail.

Igor Gardes : le milieu des festivals est particulièrement stressant car il y a beaucoup d’imprévisibilité et de précarité : une mauvaise météo peut mettre à mal tout l’équilibre budgétaire par exemple. On joue chaque année notre existence même. Le covid a mis cette fragilité en exergue : tout s’est arrêté du jour au lendemain, on n’existait plus. D’où l’importance de sécuriser encore plus les équipes.

Carol Meyer : L’employeur culturel a également un rôle de formateur : les bénévoles, stagiaires, services civiques qu’on accueille deviennent ensuite des professionnels du spectacle.
A cause du Covid, on n’a formé personne pendant deux ans, ce qui entraîne une pénurie de jeunes professionnel·les formé·es et motivé·es par ce secteur. En parallèle, des professionnel·les aguerri·es quittent également le secteur.
On constate vraiment avec d’autres collègues des difficultés à recruter : on a beaucoup moins de candidatures et des personnes avec moins d’expérience puisqu’ielles n’ont pas pu en acquérir ces dernières années. Il y a un vrai enjeu là-dessus pour les années à venir.

• LA DÉLÉGATION DE POUVOIR, OUTILS CLÉ DES RESSOURCES HUMAINES

Lisa Bélangeon, coordinatrice générale Au Foin de la Rue (dans le public) : dans les outils RH, il y a aussi la notion de délégation de responsabilité. Ça doit être bien cadré notamment entre les bénévoles en responsabilité et les salarié·es : quelles décisions peuvent être prises par les responsables salarié·es, quelles décisions doivent être prises conjointement avec le CA et quelles décisions sont prises par le CA.

Igor Gardes : Les délégations doivent effectivement être très claires.
Lorsque je suis arrivé à la direction du Cornouaille, j’ai commencé par essayer de hiérarchiser tout ça et les choses ont été posées très clairement : en tant que directeur d’une association – avec un CA fort – je suis sous la responsabilité du CA et je lui dois des comptes mais l’ensemble des collaborateur·rices sont sous ma responsabilité. La responsabilité pour les signatures, recrutements, contrats de travail, pour le bien-être et la qualité de vie au travail… m’est déléguée et c’est noté dans mon contrat de travail. En aucun cas un·e membre du CA ne peut exercer un quelconque pouvoir sur les salarié·es en direct.
De la même façon, j’ai aussi rompu des liens historiques entre les salariées et les responsables bénévoles : par exemple quand je suis arrivé, la comptable avait sous sa responsabilité l’ensemble des bénévoles caisses et billetterie. Elle était donc en lien de subordination avec des bénévoles, ce qui ne peut pas marcher. Elle doit être en lien avec une trésorière qui, elle, est en responsabilité de ses bénévoles.
Clarifier tous ces schémas a pris du temps (2 ans) mais c’était indispensable. Sinon on se retrouve avec des débats sans fin.
Et bien sûr, clarifier qui prend les décisions finales n’empêche pas l’endroit du dialogue.

Laureline Geisen : La délégation est un outil clé des RH qui demande de se poser la question du rôle, de la place et de la responsabilité de chacun.
Beaucoup de dysfonctionnements peuvent venir de « courts-circuits » : comment peut-on assumer la responsabilité qui est la nôtre au poste qui est le nôtre si d’autres personnes qui passent par là, qui ont d’autres idées, bonnes ou pas bonnes, peuvent s’en saisir et prendre des décisions qui normalement nous incombent ?
Il faut poser de la contrainte positive, se dire comment on s’organise les uns avec les autres et pouvoir le revoir de temps en temps.
Demander de l’aide pour s’attaquer à ces sujets un peu difficiles (par le biais d’un DLA[2] ou d’un appui conseil RH de l’Afdas[3]) peut être intéressant notamment pour les questions de gouvernance qui intègrent la question de répartition des pouvoirs.

• ET D’UN POINT DE VUE BUDGETAIRE, COMMENT CRÉER SON PREMIER EMPLOI ?

Avant : les emplois jeunes, les emplois associatifs, les CAE… il reste peu d’aides : le contrat d’apprentissage, le FONPEPS, certaines collectivités (notamment en milieu rural) peuvent lever des fonds pour créer de l’emploi sur leur territoire, les emplois francs.
Sans être une aide financière directe, les dispositifs d’emploi partagé sont aussi un outil intéressant lorsqu’on crée un premier emploi. Si les missions qu’on propose ne nécessitent pas un temps plein, l’emploi partagé va permettre de sécuriser une personne avec un temps plein partagé entre différentes structures. Les groupements d’employeurs vont aussi aider à la création de la fonction employeur, décharger sur la partie administrative.

FERRIER-BARBUT, Micha ; SHANKLAND Rébecca. La gestion des ressources humaines dans le secteur culturel, Territorial Editions, 2017. 116 p.

COTTIN-MARX, Simon. Sociologie du monde associatif, La Découverte, 2019. 128 p.

Le Kit culture d’Opale : https://www.opale.asso.fr/article530.html

Eléments de définition et chiffres-clés sur le secteur, exemples d’accompagnements, liens vers les structures ressources…, ce kit évolutif permet de construire le diagnostic et le plan d’accompagnement d’une association culturelle en pointant les questions prioritaires et les enjeux récurrents…

Les guides métiers de la CPNEFSV https://www.cpnefsv.org/


[1] https://boutique.territorial.fr/la-gestion-des-ressources-humaines-dans-le-secteur-culturel-analyse-temoignages-et-solutions.html

[2] DLA : dispositif local d’accompagnement https://www.info-dla.fr/

[3] https://www.afdas.com/entreprise/mettre-en-oeuvre-votre-projet-rh-sur-mesure/appui-conseil-rh.html