Le gobelet consigné, apparu dans les années 2000 dans les grands évènements, est devenu le symbole de la démarche écologique des festivals. Mais depuis 2 ans, on observe un changement de stratégie avec de plus en plus de festivals qui abandonnent ce système par soucis de simplification logistique, par volonté écologique ou bien parfois pour des raisons bien moins louables. Mais alors qu’en est-il ? Quelle est le meilleur système logistique permettant d’économiser les ressources ? Comment mettre en place une consigne efficace ?
Du neuf avec du vieux
La consigne existe depuis des siècles – 1799 pour être exact – et était encore largement répandue en France jusque dans les années 1960 : à cette époque, on ramenait ses bouteilles de lait, vin ou bière en magasin pour récupérer les quelques centimes de caution avancés à l’achat.
Ce système, qui repose sur le réemploi des contenants est très efficace en termes d’économie de ressources puisqu’il évite à la fois l’empreinte environnementale liée à la production du contenant (extraction / fabrication / emballage) ainsi que celle de sa « fin de vie » : recyclage, incinération ou enfouissement. Ainsi, d’après une étude menée en Alsace, le système permet d’économiser jusqu’à 75 % d’énergie et 33 % d’eau par rapport au recyclage[1]. Il est pourtant abandonné dans les années 1960 avec l’arrivée des emballages à usage unique, hormis en Alsace où il perdure.
Au début des années 2000, la consigne fait son grand retour via les évènements et leurs fameux gobelets lavables. Une petite révolution se met alors en place dans les bars : en plus du contenu de la boisson, le public paie 1€ de caution pour le contenant, euro qui est restitué au moment de rendre le gobelet. Ce dernier est ensuite lavé et peut être réemployé : la boucle est bouclée. Ainsi, un cycle vertueux se crée et progressivement les paysages des festivals, évènements sportifs et autres férias se métamorphosent. Les sols jonchés de gobelets jetables appartiennent au passé et rapidement le système fait l’unanimité aussi bien auprès des organisateurices que des publics. Ce système permet en outre de récompenser les personnes qui font l’effort de ramasser les gobelets abandonnés pour récupérer le précieux euro. Dans le contexte des évènements comme plus largement en Allemagne ou aux Pays-Bas, la collecte informelle de contenants consignés peut ainsi endosser un véritable rôle social.
Des premiers mésusages
Dès les premières années de mise en place de la consigne gobelet, des dérives apparaissent et éloigne le système de sa vocation écologique première. Malgré la consigne, les gobelets sont ramenés à la maison tels des trophées ou des souvenirs, nécessitant une surproduction qui limite son intérêt écologique. Si dans les années 2000, il pouvait être pertinent de créer sa collection personnelle de gobelets lavables pour éviter de recourir à leurs équivalents jetables en sortie pique-nique ou lors d’apéros estivaux, cette stratégie n’a plus grand intérêt aujourd’hui, à l’heure où nos placards sont déjà bien remplis de gobelets en tout genre.
La vente : la fausse bonne idée
Pour endiguer ce phénomène, certains évènements décident de remplacer le prêt de gobelet, matérialisé par la consigne, par une vente simple. Ainsi, en rendant le public propriétaire de son gobelet qu’il aura acheté, il en ferait plus attention. Mais que nenni !
Dans les faits, on constate exactement l’inverse : là où auparavant, un gobelet qui traînait valait 1€, il ne vaut désormais plus rien, et l’incitation à le ramener au bar disparait. Les gobelets abandonnés ne sont ainsi plus récupérés par les « petits malins » qui permettaient de boucler la boucle . En plus du risque de pollution, le taux de retour chute, obligeant les festivals à racheter davantage de gobelets… et donc de plastique, comme en témoigne Quentin Sibéril, en charge du développement durable aux Vieilles Charrues: « On a testé beaucoup de formules. Jusqu’à rendre le gobelet payant. Mais, ils étaient très vite abandonnés sur le site. Ce sont des gobelets qui vont être piétinés, cassés, très sales et qu’on ne va finalement pas récupérer. Ça avait peu de cohérence environnementale car il a fallu renouveler le stock et donc produire davantage »[2]. C’est pour ces même raisons que la mise à disposition gracieuse de gobelets (non facturés, non consignés) peut également s’avérer contre-productive, notamment dans les jauges importantes.
En termes d’expérience festivalière, la vente est également préjudiciable : au lieu de pouvoir ramener son gobelet au bar en attendant la prochaine conso, le festivalier se retrouve obligé de garder sur soi son gobelet sale pour éviter d’en racheter un. Si proposer au public de venir avec son gobelet permet de le responsabiliser et éventuellement de réduire le nombre d’unités achetées par l’organisateur, cela doit rester un choix conscient et non un piège payant.
Le seul intérêt de la vente est économique et cela peut rapporter gros. En 2023, en abandonnant le gobelet consigné en place depuis 2010, les Férias de Dax ont réalisé un bénéfice de plus de 600 000€ sur la vente des gobelets à 2€ [3]. Une façon à peine déguisée de facturer l’entrée aux fêtes, inspiré par son voisin bayonnais qui a de son côté fait le choix de la vente d’un bracelet d’accès dès 2018. Mais à quel prix environnemental ? Pour dégager cette recette, la ville a dû passer commande de… 1 000 000 de gobelets personnalisés aux couleurs de l’édition ! Cela correspond à l’achat de 26 tonnes de plastique, soit l’équivalent de 62 tonnes de CO2[4].
Améliorer la consigne sans l’abandonner
La consigne et ses 20 ans d’histoire commune avec les festivals a encore beaucoup à apporter à l’environnement et à l’expérience festivalière.
Cependant, son application pose parfois des challenges logistiques et sa mise en place représente un coût. Celui-ci doit être assumé en toute transparence quitte à être répercuté dans le prix du ticket, plutôt que d’user de stratagèmes pour en faire un poste de recettes. Quand c’est le cas, l’environnement s’en retrouve perdant (cf. exemple mentionné précédemment).
Au-delà de la vente, d’autres évolutions du système de consigne commencent à voir le jour : des sociétés proposent désormais de facturer l’usage du gobelet à chaque passage en caisse. Ce système, reposant sur une infrastructure matérielle et logicielle lourde (nouveaux gobelets pucés, tapis connectés, machines de déconsigne connectées) pose la question du transfert d’impacts et donc du réel gain environnemental… ainsi que du coût final pour l’usager·e.
Tant que des analyses de cycle de vie (ACV) n’auront pas démontrées le réel bénéfice de ces nouvelles solutions ultra technologiques, la « bonne vieille consigne » low tech reste la meilleure solution pour la préservation des ressources et le confort des publics. Et les exemples sont nombreux.
Les bons exemples à suivre
Pour mesurer la performance du système de consigne, il convient de suivre deux indicateurs : le nombre de gobelets non retournés, et le taux de retour qu’on obtient en rapportant ce chiffre au total de gobelets loués (ou utilisés). Plus ce taux se rapproche de 100 %, plus on s’approche d’une logistique à « cycle fermé », soit l’eldorado des partisans d’une économie circulaire.
En regardant de près les festivals qui frôlent les 100 % de taux de retour, on peut identifier quelques clefs de réussite.
De nombreux festivals sont devenus des experts en matière de déconsigne, en peaufinant leur dispositif année après année. Le festival des Trans Musicales en fait partie, avec son taux de retour de 92 % sur les gobelets et de 98 % sur la vaisselle, malgré une fréquentation importante de 33 000 personnes sur 3 jours (au Parc Expo en 2023). Quels enseignements tirer de leur dispositif ou de celui d’autres festivals exemplaires en la matière ?
1 – Des gobelets non personnalisés
Pour éviter l’effet collector, il est recommandé de ne pas personnaliser le gobelet, ou à minima de choisir un visuel standard et non daté. D’autres festivals font le choix stratégique de faire passer un message de sensibilisation sur les gobelets pour inciter à leur retour.
2 – Une déconsigne facilitée
Le nerf de la guerre du retour gobelet, c’est… sa logistique de retour ! L’enjeu est de la faciliter au maximum, pour inciter les publics à faire l’effort de les ramener. Comment ? Les Trans Musicales ont créé des espaces dédiés à la déconsigne, évitant ainsi de faire la queue au bar. Un de ces espaces est astucieusement situé au niveau du départ des navettes. Le festival Mythos (ici en photo) fait de même dans l’allée qui mène à la sortie. Si la création d’un espace dédié peut s’avérer trop complexe (coût, logistique matérielle et humaine), alors il suffit de créer une file dédiée au bar, à condition de bien la signaler.
Autre aspect important de la déconsigne : les horaires. Il est important de laisser l’espace ou la file de déconsigne ouverte après la fin du dernier concert. Pendant les Jeux Olympiques de Paris, des messages étaient diffusés sur les écrans géants pendant les rencontres pour indiquer que la déconsigne fermait 30 minutes après le match.
3 – La déconsigne solidaire
La consigne peut également permettre de collecter des dons : les Trans ont expérimenté le déploiement d’urnes de collecte de gobelets : les publics peuvent y déposer leur gobelet pour faire don de la consigne. Ce montant alimente alors la cagnotte solidaire du festival (appelée « contribution environnementale »). C’est également un moyen efficace de récolter les gobelets dans des espaces où ils sont habituellement abandonnés (parkings, espace de détente et de restauration, sorties, etc.).
A Bordeaux une association venant en aide aux personnes démunies a tissé un partenariat avec une salle de concert pour récupérer les consignes à la sortie : à chaque gobelet rendu, l’asso récupère 1€.
Conclusion
En réduisant la consommation d’énergie, de matières premières et de CO2, la consigne est un système logistique précieux pour réduire l’empreinte environnementale des évènements qui la mettent en place au bar ou dans les espaces de restauration.
Bien connue des publics, elle améliore également l’expérience festivalière en permettant de rendre ou d’échanger facilement les contenants.
Au contraire, les évolutions de modèles s’éloignant du principe simple, transparent et low tech de la consigne ne semblent pas apporter d’intérêt sur le plan environnemental ni pour le confort des publics.
Enfin, pour déployer une consigne efficace, les organisateurices doivent être vigilant·es sur certains aspects logistiques qui doivent être anticipés. Heureusement, les 20 ans d’expérience de ce système dans les festivals offrent de nombreux retour d’expérience inspirants.
[1] « Recyclage : comment la consigne a disparu en France », LeMonde.fr, 15 novembre 2017
[2] « Vous collectionnez les gobelets consignés des festivals ? Voici pourquoi c’est une mauvaise idée » ; Edition du soir Ouest-France, 09/07/2024
[3] « À Dax, les verres payants s’installent pour la feria », PresseLib, 11/04/2024
[4] Calculé à partir de la fiche technique du constructeur et via le facteur d’émission « Plastique moyen, neuf » de la Base Empreinte, ADEME.