Résultats d’une enquête sociologique sur les violences sexistes et sexuelles en festival
La fête appartient-elle aux hommes ?
Stourm, mission de lutte contre le sexisme dans les musiques actuelles en Bretagne a réalisé une enquête inédite en France sur les violences sexistes et sexuelles en festival.
Dans quelles circonstances les violences sexistes et sexuelles se déroulent-elles en festivals ? Quelles sont les conséquences sur les victimes et victimes potentielles ? Quels sont les freins au signalement soulevés par les victimes ? Et quelles réponses proposent les festivals et associations spécialisées ?
L’enquête coordonnée par Stourm et déléguée au cabinet d’études sociales Les Petites Voix visait à mieux comprendre les mécanismes de ces violences en contexte festif afin d’outiller les organisateurices de festivals et les associations de prévention des violences sexistes et sexuelles.
Pour répondre à ces objectifs, les sociologues ont mobilisé des méthodes qualitatives : entre janvier 2023 et février 2024, elles ont mené 25 entretiens semi-directifs avec des femmes et personnes LGBTI+ ayant subi des violences diverses en festival, mais aussi avec des associations de prévention, des organisateurices de festivals et des sociétés de sécurités. Les sociologues ont également mené des observations de terrains sur quatre festivals bretons.
Cette enquête qualitative reste exploratoire, le panel étudié n’étant pas représentatif, mais il nous a permis de mettre en lumière des tendances, et d’ouvrir la réflexion sur plusieurs thématiques en lien avec les violences sexistes et sexuelles en festivals, et en milieu festif plus généralement.
Les résultats clés
À ce moment-là, je suis seule sur le site du festival.
En marchant, il y a un mec qui me prend par les épaules et qui me dit de tourner sur moi-même pour pouvoir mieux me mater. (Une festivalière).
Un soir, je rentre toute seule au camping. Il est 3 heures du mat’ et un mec m’accompagne. Il est complètement cuit. Il me dit : « tu vas faire quoi ? Elle est où ta tente ? Tu vas prendre une douche ? Ah bon ? Tu vas pas te coucher maintenant ? T’es toute seule ? ». Il est méga lourd. Donc, arrivée aux douches, je dois être extrêmement ferme, pour lui dire : « non, là, tu dégages, je veux plus te voir ». (Une festivalière).
Je l’entends dire : « Oh, l’autre, là, il a les cheveux roses ! ». Et son pote lui fait : « Ah, ouais, c’est Drag Race ici ! » Il commence à faire : « vous mangez quoi ? » et je dis « du houmous ». Ils sont tous là : « Ah, vraiment, ah [dégoût] ils sont tous végans et pédés, vas-y, on s’en va ». Ça a été ça, tout le festival. (Un festivalier).
« Je faisais mon maquillage et les gens me regardaient un peu mal mais je m’en fichais. Et à un moment, il y a un mec qui passe devant la tente, qui s’arrête, qui me fixe, qui éclate de rire, qui s’en va, qui revient sur ses pas, me re-fixe et re-éclate de rire. Je pense que ça, additionné à tous les gens qui me regardaient mal, les gens qui disaient “téma la pédale”, des trucs comme ça, en passant à côté de la tente. […] C’était vraiment trop ». (Un festivalier).
Attouchements, propositions sexuelles non désirées, insultes homophobes, misogynoire*… L’enquête montre qu’en festival, les VSS sont massives et banalisées.
C’est à la fois une violence pour les personnes qui les subissent, mais aussi une menace et un sentiment d’insécurité générale pour l’ensemble des personnes concernées.
Ces violences sont facilitées par une ambiance globale de sexualisation des femmes et minorités de genre : regards, interpellations, « blagues », mise en scène de la virilité, occupation de l’espace physique et sonore par les hommes cisgenres blancs.
La programmation des festivals favorise cette appropriation masculine de l’espace avec une sur-représentation des hommes cisgenres, et notamment sur les grandes scènes, aux heures de forte affluence.
* Forme de discrimination, à l’égard des femmes noires spécifiquement, qui combine misogynie et racisme.
« On ne sait pas comment réagir parce qu’il y a toujours ce truc-là de ‘oui, c’est bon, on est dans un festival. Faut s’amuser. Tout est léger !’ » (festivalière)
« Il y a un groupe de mecs qui s’amusaient à mouiller les gens avec des pistolets à eau. Sauf que les nanas, ils les mouillaient sur les seins et les fesses. Moi, je m’en suis pris sur les fesses et ça m’a vraiment énervée. Et puis les gens : “oh, mais c’est bon. Il fait chaud. On est en festival. Il faut s’amuser !” Sauf que, moi, j’ai vécu ça comme une agression puisque c’était clairement visé à un endroit précis. Et c’est pas ce qu’ils faisaient aux mecs. » (festivalière)
Dans l’imaginaire collectif, les festivals sont des espaces de « lâcher prise », des espaces de légèreté, hors du temps. Notre enquête montre que cet imaginaire est utilisé pour minimiser les violences sexistes et sexuelles qui s’y produisent. Lorsque les personnes veulent dénoncer ou se défendre face à des comportements sexistes et/ou à connotation sexuelle, on leur répond : « c’est une blague », « on est là pour s’amuser ».
L’enquête révèle aussi que la notion de lâcher prise peut renforcer ces violences : l’humour et la légèreté associées à ces moments festifs et le fait de pouvoir « se défouler », se traduisent par des comportements sexistes, des propositions sexuelles non désirées, des interactions non consenties, des insultes racistes, homophobes, que les auteurs n’auraient pas adopté dans d’autres contextes.
Lorsque les femmes et minorités de genre subissent des violences sexistes et/ou sexuelles en milieu festif, ce ne sont pas des événements isolés : des violences similaires se répètent et se cumulent tout au long de leur parcours de vie.
Cela a des conséquences physiques, psychologiques et sociales à long terme.
Parmi les conséquences, on peut citer :
• Atteinte à l’estime de soi, altération de la personnalité.
• Sentiment de honte, d’humiliation, liée à la culture du viol qui fait peser sur les victimes la responsabilité des violences qu’elles ont subies.
• Angoisses, anxiété sociale, agoraphobie, entraînant la restriction des interactions aux seules personnes de confiance.
• Douleurs chroniques, qui ont des effets sur la vie personnelle, étudiante, professionnelle.
• Impacts sur la vie affective et sexuelle.
• Hypervigilance, qui s’accompagne souvent d’une charge mentale liée au fait de devoir penser à tous les détails.
• Méfiance accrue envers autrui, notamment envers toutes les personnes perçues comme de potentiels agresseurs.
• Colère ou agressivité, qui se développent à force d’être confronté·e aux violences, mais aussi pour surmonter la peur.
• Comportements auto-destructeurs, qui peuvent ensuite accroître la vulnérabilité et le risque d’être à nouveau victime.
Les conséquences de ces violences sont individuelles mais aussi collectives : elles favorisent l’exclusion des femmes et minorités de genre de l’espace public et créent des inégalités d’accès aux espaces festifs et culturels.
« Je me mets pas devant. Je me mets pas en plein milieu de la foule. Généralement je suis derrière. Et j’essaye de voir où est la sortie la plus proche pour savoir par où partir s’il se passe quelque chose. »
« J’essaie de ne pas avoir d’échanges de regards avec les autres. Ensuite, je souris pas. Je fais la gueule. Comme ça, on m’aborde moins. »
« Quand j’étais plus jeune, je sortais beaucoup. J’avais pas envie de me laisser faire, je préférais « vivre des agressions » plutôt que de rester enfermée chez moi et… en fait, ça coûte de la santé mentale de subir des agressions. Et du coup, maintenant, pour me préserver, je sors beaucoup moins. »
En festival, et dans l’ensemble de leur parcours de vie, les femmes et minorités de genre ne sont pas passives face aux violences sexistes et sexuelles. Elles mettent en œuvre des stratégies d’adaptation, d’évitement, de résistance. Cette nécessité d’adaptation les pénalise socialement.
Les résultats de l’enquête nous permettent de préciser certaines de ces stratégies d’adaptation :
• Restreindre les déplacements, la fréquence et les choix de sorties.
• Lors d’un événement, être en mouvement perpétuel pour éviter d’être accosté·e.
• Ne pas sortir seul·e, s’entourer d’un groupe d’ami·es dont chaque membre surveille les interactions sociales non-désirées.
• Privilégier des espaces communautaires, jugés plus sécurisants.
• Eviter les groupes perçus comme menaçants, qui occupent l’espace physique et sonore.
• Rester en périphérie des foules pour pouvoir en sortir plus facilement.
• Privilégier des horaires de sortie plus précoces.
• Limiter ses consommations afin de pouvoir rester en vigilance.
• Se restreindre dans la « présentation de soi » : choisir des tenues plus confortables et moins voyantes ; afficher un visage fermé, voire « avoir l’air méchant·e » pour essayer de renverser le rapport de force.
« Je crois que c’était la première fois que je prenais le tram. Je suis tombée sur un frotteur. C’était un mec en costard cravate, avec sa petite mallette. » Une festivalière
“Quand je suis sortie du magasin, il est sorti. J’ai pris ma voiture, il a commencé à me suivre. Je suis allée dans un autre magasin. Et il est arrivé dans le même magasin que moi. J’ai dit au vigile que j’avais l’impression qu’un monsieur me suivait. Il m’a dit qu’il allait faire attention. Je suis ressortie du magasin. Je suis partie. J’ai vu la même voiture arriver. Je me suis cachée dans la voiture et je l’ai vu repartir. » Une festivalière
Des entretiens sociologiques ont été réalisés avec 15 personnes qui avaient vécu des violences sexistes et/ou sexuelles en festivals.
13 d’entre elles avaient vécu d’autres agressions sexuelles* dans leur vie et toutes avaient déjà vécu des violences sexistes (sifflements dans la rue, filature en voiture, attouchements non-consentis dans le métro, photos prises à leur insu, etc.).
Ces résultats montrent que les VSS sont présentes tout au long du parcours de vie des personnes.
Cela s’appelle le « continuum des violences » : un concept sociologique qui analyse l’omniprésence des violences dans la vie des femmes et minorités de genre, dans tous les espaces et à toutes les périodes.
Certaines agressions sont particulièrement violentes, d’autres sont difficiles à reconnaître comme telles. Pourtant, toutes fonctionnent comme un rappel à l’ordre selon lequel l’espace public ne leur appartient pas.
Les violences sexuelles en milieu festif ne sont donc pas des actes isolés pour les personnes qui les subissent. C’est la répétition et l’accumulation de ces actes tout au long de leur vie qui rendent l’espace festif hostile.
Un espace d’autant plus hostile pour les personnes qui subissent aussi un continuum de violences racistes, validistes ou encore grossophobes.
Cela montre l’importance de prendre en compte les violences hors des milieux festifs pour comprendre ce qui se joue dans un contexte de fête.
*Art. 222-2 du Code pénal : constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Les décisions des juges ont précisé que 5 zones du corps permettent de caractériser la dimension sexuelle de l’agression : les seins, les fesses, l’intérieur des cuisses, la bouche, le sexe.
Il allait m’empêcher clairement d’être qui j’étais. Que ce soit ma façon de m’habiller, ma façon de parler, ma façon de danser, tout. Tout était constamment réglementé par ce que lui, il pensait. Une festivalière
Il m’a laissée seule avec un mec qui était en train de m’agresser, qui essayait de me peloter, de m’embrasser. J’ai mis bien 5 minutes à le jeter. Quand je suis revenue, il était furax. Il m’a engueulée, il m’a fait la gueule pendant le reste du festival et même après, quand on est rentré·es, c’était compliqué. Une festivalière
Les violences conjugales sont un processus au cours duquel un partenaire exerce à l’encontre de l’autre des comportements agressifs, violents et destructeurs. L’emprise et la peur enferment la victime dans un conditionnement dont il lui est difficile de sortir sans aide. (Définition Solidarité Femmes Loire-Atlantique).
Ces violences, commises à 86 % par des hommes cisgenres, sont le résultat de rapports de domination patriarcaux.
Notre enquête montre que les violences conjugales sont particulièrement présentes en festival. Elles ont lieu en amont, pendant et après l’événement.
Elles se manifestent par de la jalousie, la restriction des sorties, la demande (voire l’obligation) de changer de tenue avant de sortir ou encore les restrictions dans les manières d’être et d’interagir avec les autres.
Ces violences contribuent à effacer une partie de l’identité des personnes qui les subissent.
Elles réduisent leur accès à l’espace festif et culturel et ont des conséquences à long terme sur leur santé physique et mentale.
Les violences conjugales sont difficiles à identifier et à prendre en charge en milieu festif. Elles sont souvent perçues comme des ‘‘conflits’’, relégués à la sphère intime.
Les personnes impliquées dans les festivals manquent de formation pour savoir comment les repérer et agir au mieux pour préserver la sécurité des victimes.
Ces résultats nous montrent qu’il est nécessaire d’analyser les VSS en festival au regard de celles commises partout et notamment dans la sphère privée.
“J’ai été à des DJ sets dans cette ville. C’était hyper blanc. Les seules interactions que j’ai eues, c’était pour savoir si j’avais du shit ou si je vendais du shit.” (une festivalière)
“Sur scène, une artiste afro-américaine chantait sa chanson « Don’t touch my hair »*. Je me suis fait toucher les cheveux pendant ce morceau. Je me suis dit que les gens n’avaient pas compris les paroles ou alors qu’ils avaient pris la décision. Enfin, voilà. Du coup, je suis fatiguée.”** (une festivalière)
*Ne touche pas mes cheveux.
**Toucher une partie du corps aussi intime que les cheveux, qui constituent une composante importante de l’identité des personnes noires, est une agression dégradante et raciste, qui renvoie à des stigmatisations héritées du passé colonial.
“Il y a des festivals en Bretagne où il y a des perruques rasta qui sont vendues à des personnes blanches qui les portent pour s’amuser. Il n’y a personne qui trouve ça raciste, et il n’y a personne qui trouve ça choquant.” (une festivalière)
Le racisme est systémique. Il est profondément ancré dans l’organisation de la société et dans les relations sociales. Les festivals observés dans cette enquête sont des espaces qui participent à ce racisme systémique.
Pour les personnes concernées, cela génère des violences, des discriminations et une exposition plus forte aux risques de VSS.
L’enquête présente des biais qui ne permettent pas d’avoir une analyse pertinente des manifestations du racisme en milieu festif et du vécu des VSS au prisme du racisme. Les personnes qui ont travaillé sur l’enquête étaient blanches, avec un point de vue situé dans leur travail d’observation. Parmi les 25 personnes enquêtées, une seule était racisée. L’enquête a néanmoins permis de dégager quelques résultats*.
*Ces résultats ne sont pas exhaustifs et n’ont pas la valeur de travaux spécifiquement dédiés à la question du racisme et des VSS.
Dans les festivals étudiés, les publics sont très majoritairement des personnes perçues comme blanches.
On y observe des agissements racistes dissimulés sous couvert d’amusement, tels que la vente de perruques rastafaries ou le port de sombrero, tolérés par le public et par les équipes organisatrices.
Pour les personnes dont il s’agit de l’identité sociale, cela constitue un rappel et une validation des violences et discriminations qu’elles subissent au quotidien.
En milieu festif, les femmes noires, qu’elles soient sur scène ou dans le public, sont confrontées à des stéréotypes racistes et sexistes (misogynoire), qui les présentent comme hypersexuelles ou comme agressives. Ces stéréotypes leur imposent de contrôler leur corps et leurs mouvements.
On constate une division raciale du travail : les équipes organisatrices et artistiques sont majoritairement blanches alors que les personnes racisées occupent des postes comme le ménage ou la sécurité, qui sont souvent plus précaires, moins payés, sous-traités, et moins valorisés.
Parmi les équipes de prise en charge des VSS, les personnes sont majoritairement blanches ou perçues comme blanches. Elles ne sont pas toujours formées sur les biais racistes, ce qui augmente les risques de reproduction des violences durant la prise en charge des victimes.
Ces résultats nécessitent d’être complétés par des témoignages et travaux réalisés par des personnes concernées. Ils permettent néanmoins de rendre visible l’urgence d’agir face à l’écrasante blanchité des organisations culturelles et les mécanismes de discriminations, de violence et d’exclusion que cela provoque.
Des ressources pour aller plus loin
Ouvrages :
- Mécanique du privilège blanc, Estelle Depris, Binge, 2024
- La charge raciale, Douce Dibondo, 2024
- La domination blanche, Solène Brun et Claire Cosquer, Textuel, 2024
- Impact des microagressions et de la discrimination raciale sur la santé des femmes racisées, l’exemple des femmes noires en France, Yaotcha d’Almeida, 2023, L’Harmattan
- Survivre au taf, stratégies d’autodéfense pour personne minorisées, Marie Dasylva, 2021, Daronnes
- Petit manuel antiraciste et féministe, Djamila Ribeiro, 2020
- Un féminisme décolonial, Françoise Vergès, 2019
- Décolonisons les arts !, Leïla Cukierman, Gerty Dambury, et Françoise Vergès, 2018
- De la marge au centre, Bell Hooks, 1984
- Ouvrage collectif, Noire n’est pas mon métier, 2018, Le Seuil
Documents en ligne :
- Les allié·es de la lutte antiraciste (partie 1 et partie 2), Be Pax, 2019
- Racisme sur le lieu de travail : pour des espaces de travail dignes et respectueux, Be Pax, 2021
- La culture de la suprématie blanche dans nos organisations, dRworks, COCo, 2019
Podcast radio et vidéo :
- Blanc Comme Neige, Binge Audio
- Le privilège blanc existe-t-il ?, France Culture
- Extimité, Douce Dibondo et Anthony Vincent
- Nwar Atlantic, Fania Noël
- Quand les discriminations affectent notre santé psychique et physique, France Inter
“Une fois où j’ai dansé une mazurka* avec un gars, il ne comprenait pas le cadre que j’essayais de lui mettre : “je veux pas sentir ton ventre contre mon ventre”. En même temps, j’allais pas lui dire “va te faire foutre” au milieu du parquet, tout le monde nous voyait. Il pensait pas mal mais il était content quand même d’avoir une minette de 20 ans.” (une festivalière)
*Danse de couple à trois temps, originaire de Pologne, souvent pratiquée en bal folk.
“Quand on fait des sorties bagad*, je me conditionne un peu à me dire que je vais être dans un milieu très hétéronormé. Je m’empêche des fois de faire des réflexions parce j’ai peur qu’on me dise que je suis rabat-joie ou que je fous une mauvaise ambiance, alors que bon il y a quand même des trucs qui ne sont pas trop entendables. ” (une festivalière)
*Ensemble musical breton.
Les festivals de danse traditionnelle et les fest-noz* sont perçus comme des espaces de convivialité, de respect et de partage intergénérationnel. Pourtant, comme tous les milieux festifs, ils sont aussi confrontés à des rapports de domination qui favorisent les VSS.
*Rassemblements festifs autour de la musique et de la danse traditionnelles bretonnes
Les personnes enquêtées révèlent que le sexisme y est souvent minimisé ou toléré. La figure du « lourd » et l’appel à « l’humour » sont utilisés pour justifier des propos ou des comportements dégradants voire violents. Les victimes n’osent pas toujours signaler ces violences car elles risquent l’exclusion sociale de la part du groupe.
Les stéréotypes sexistes sont souvent profondément ancrés : costumes réglementaires genrés lors des concours de bagads (pantalon pour les hommes, jupes pour les femmes) ou encore croyance selon laquelle les pupitres composés de femmes ne pourraient pas produire de son assez fort.
Malgré une certaine progression, les programmations de ces événements révèlent toujours une sous-représentation des femmes et minorités de genre, avec une grande majorité de groupes programmés composés exclusivement d’hommes cisgenres.
Malgré les stéréotypes et VSS qui persistent dans ces espaces, l’attachement à la culture musicale et au groupe social reste fort et des résistances se développent pour que les femmes et personnes minorisées puisse s’exprimer et se réapproprier ces espaces et ces pratiques traditionnelles.
“Je me sentais tellement coupable, et je savais que si j’en parlais, j’allais vraiment être prise pour une menteuse… Enfin en tout cas, je le vivais vraiment comme ça. Du coup, c’était pas vraiment envisageable. »
“Quand on va voir l’équipe organisatrice pour dire “voilà, cette personne a fait ça”, derrière, on est très souvent décrédibilisé. Les gens minimisent beaucoup et essayent de trouver des excuses pour justifier le comportement de telle ou telle personne.”
“Quand tu as besoin de parler, de manière un peu plus confidentielle, il n’y a pas toujours l’espace dédié. Donc, en fait, tu es à un endroit avec une personne, mais juste à côté, il y a des personnes bourrées qui viennent chercher de la documentation ou qui racontent n’importe quoi. Ce n’est pas hyper agréable.”
Alors que l’enquête 2025 Consentis révèle qu’en milieu festif, 80% des femmes et personnes minorisées de genre déclarent avoir subi des VSS, le niveau de signalement de ces violences reste très faible.
L’enquête Stourm montre que cela s’explique par des freins propres au milieu festif :
• Banalisation collective des VSS en milieu festif, qui provoque la crainte de ne pas être pris·e au sérieux, même par son propre entourage.
• Minimisation des violences par les victimes : dans la société, les femmes et personnes minorisées sont encouragées à minimiser les violences qu’elles subissent*.
*Liz Kelly, « Le continuum de la violence sexuelle », 1987
• Sentiment de culpabilité et de honte, causé par des stéréotypes qui font peser la responsabilité de l’agression sur la victime, du fait de sa consommation*, de sa tenue vestimentaire ou encore du simple fait d’être sortie la nuit.
• Processus de signalement perçu comme trop long, ce qui provoque un arrêt du moment de plaisir festif, alors que l’agression avait déjà provoqué une interruption brutale.
*Selon le Code pénal, profiter de la vulnérabilité d’une personne ayant consommé des produits psychoactifs pour l’agresser constitue un facteur aggravant pour l’auteur des faits.
• Difficulté à identifier les lieux et les personnes ressources, confusion entre les espaces dédiés aux VSS et les dispositifs de réduction des risques liés aux consommations.
• Manque de confiance envers les organisateurices/institutions, souvent liée à des expériences précédentes négatives (non prise en compte du signalement, jugement, méfiance…).
Pour construire un dispositif solide de réponse aux VSS, les organisateurices doivent lever les freins à la dénonciation et prendre en compte la charge qui pèse sur les victimes lors du signalement. Il est donc essentiel de faciliter et d’accompagner leur démarche.
Les organisations demandent des safe zones, parce que ça rassure, ça fait bien. Mais le premier accueil après une violence est décisif dans le parcours de reconstruction, donc il ne faut pas que ce soit fait n’importe comment. Ça ne peut pas être tenu par des bénévoles. Il faut des personnes professionnelles formées à l’accueil de la parole. C’est un métier, et ça ne s’invente pas.
Une association de prévention VSS
Sans avoir rédigé un protocole de sécurité avec la sécu et s’être mis d’accord sur la marche à suivre sur place, on n’y va pas. On ne va pas juste mettre des paillettes aux gens et jouer à des jeux de société.”
Une association de prévention VSS
Maintenant on ne tient des stands que si on a formé l’organisation avant. On n’a pas envie d’être le service externe qui gère la prévention dans la soirée. On a envie que les organisations se saisissent du problème.”
Une association de prévention VSS
Grâce à leur expertise et à la structuration de leurs actions, les associations féministes jouent un rôle essentiel pour lutter contre les VSS en festival :
• Formation des équipes organisatrices, des professionnel·les de sûreté et des bénévoles.
• Accompagnement des organisations à la construction de dispositifs de prévention et de protocoles de signalement.
• Animation de stands de sensibilisation aux VSS et aux rapports de domination.
• Mise en place de maraudes sur le site de l’événement, sur les parkings, dans les campings.
• Prise en charge des personnes victimes de VSS par des professionnel·les.
Pourtant, elles font régulièrement face à des obstacles qui mettent en difficulté leur travail :
• Non prise en compte des besoins matériels et logistiques.
• Manque de reconnaissance de leur expertise et des compétences professionnelles mobilisées.
• Faible rémunération et remise en question des tarifs indiqués.
• Absence de formation des équipes organisatrices et/ou des agent·es de sûreté en matière de VSS.
• Invisibilisation des rapports de domination systémiques qui provoquent ces violences et réduction des VSS à des enjeux individuels.
Les associations de lutte contre les VSS et les discriminations jouent un rôle essentiel dans la construction d’événements plus accueillants et plus sécurisants pour toutes et tous. La pérennité de leur travail implique une reconnaissance de leur expertise, des financements stables et suffisants et une responsabilisation des organisations culturelles et des pouvoirs publics en matière de lutte contre les VSS.
